Témoignage de Jean Roche sur l'École des Cadres FTPF de Saint-Martin la Méanne

Témoignage de Jean Roche sur l'École des Cadres FTPF

de Saint-Martin la Méanne

(allocution prononcée en 1994 à Saint-Martin la Méanne)

Dans ce témoignage sur ce fait unique dans notre département et même alentour, j'associe trois choses : la Libération, Saint-Martin et mes 20 ans.

Il n'est pas ordinaire d'avoir organisé un lieu de formation des jeunes, une école, pour ceux qui voulaient se perfectionner dans le service des armes, mais cette formation était absolument indispensable pour mieux servir le peuple et la nation. En principe, ces stages se faisaient dans ou autour de centres urbains ; or, ici, nous sommes éloignés autant qu'on peut l'être de tels lieux. Il y a plusieurs raisons à cela, qui se complètent et démontrent le bien-fondé et la qualité de l'organisation des Francs Tireurs et Partisans Français (FTPF) qui venaient d'être intégrés dans les Forces Françaises de l'Intérieur (FFI) depuis quelques mois, ce qui n'était pas du goût de tout le monde, mais nous obligeait à un effort considérable pour faire face.

Ce n'était pas la première « école » de cadres en Corrèze. La première, à ma connaissance, fut créée dans la région de Chamboulive – Le Lonzac, autour de chez Léonard Ferrière qui la ravitaillait et qui, victime de la dénonciation, fut tué par les Allemands quelque temps après, au bord de sa cache d'armes ... vide. Ses camarades venaient de la déménager. La destination de cette première école était plus particulièrement la formation à l'utilisation des explosifs.

Une autre fut organisée en mai 1944 aux Chemineaux de Saint-Pardoux la Croisille, pas loin de Saint-Martin la Méanne. Celle-là portait sur l'enseignement des combats de guerillas et la connaissance des armes dont disposaient les maquis. Elle participa aux combats de l'attaque de Tulle en juin sous l'appellation de « détachement Brochet » et s'intégra dans un bataillon.

Une troisième, située au même endroit, avait le même programme, avec un plus pour l'intégration dans des unités de combat plus larges. Ses participants étaient fin prêts pour la bataille d'Egletons où ils furent appréciés, remarqués et plusieurs distingués par la Croix de Guerre avec étoile. Ils avaient aussi participé au parachutage du 14 Juillet, en protégeant le terrain de Quinsac (Saint Julien) et à d'autres coups de main. Notre embuscade était dans le Cantal, sur la route d'Aurillac à Pleaux. Elle était opérationnelle dès les premières heures du 14 Juillet.

Mais personne ne savait que la libération totale de la Corrèze se produirait le 22 août. L'efficacité des services rendus au cours des trois derniers mois par les participants aux stages dans des combats où le courage ne suffit jamais avaient conduit les responsables de l'État-Major à décider de tripler d'un coup les effectifs et de passer d'une section de trois groupes à trois sections de trois groupes (infanterie) plus un groupe d'étude des engins d'accompagnement (mitrailleuses, mortiers, armes antichars...)

Et Saint-Martin fut choisi pour son site topographique facile à défendre, les gorges de la Dordogne étant une barrière naturelle1, mais aussi et surtout pour la capacité de sa population à apporter l'essentiel de la subsistance pour plus de 100 hommes, pain, viande, légumes, etc. Ce n'était pas la moindre des tâches ! L'encadrement de l'École ne s'occupait pas de l'Intendance, il y avait un responsable et c'est vous, nos familles à l'époque, qui faisiez le reste. Ceci est très, très important. Ces familles nous voyaient travailler sur tous les plans de notre programme, elles en voyaient l'intensité et elles comprenaient ... notre appétit. D'ailleurs, cela entraînait la réciprocité. Tous étaient volontaires pour se perfectionner en vue de faire face aux besoins car la guerre n'était pas finie. Ce triplement des participants à l'École correspondait au mieux à l'afflux des jeunes dans les diverses planques.

Je me souviens encore de l'accueil par cette population. Tous avaient conscience que la Libération était proche. Nous étions là une centaine de jeunes hommes, de 20 ans de moyenne d'âge...

Je me souviens que la discipline dans le travail était rigoureuse, mais la bonne humeur régnait de toute part et tout était facilité.

Tous ces braves gens étaient bien un peu dérangés dans leurs habitudes par le remue-ménage de cette troupe bruyante d'enthousiasme, mais nos populations n'avaient plus peur des troupes étrangères assassines, pillardes et malfaisantes, les collaborateurs cherchaient -qu'ils soient petits ou plus gros- à se faire oublier, et ce n'était pas notre souci essentiel, leur sort ne nous intéressait guère -peut-être étions-nous trop naïfs- : on est toujours généreux lorsqu'on est jeune...

Il faut dire que le comportement et la tenue des gars étaient très bons et donnaient satisfaction totalement à tout le monde.

Lorsque ces souvenirs reviennent, je me répète encore que c'est bien dans la jeunesse toujours que se situe l'avenir, elle sait s'adapter rapidement aux conditions des nobles causes. C'est l'espoir de toujours, de toutes les époques graves et c'est pour nous encore l'espoir d'aujourd'hui et de demain.

La guerre n'était pas finie, il fallait apprendre :

  • apprendre l'utilisation des armes : les nôtres, celles des Alliés et celles de l'ennemi, qu'il fallait savoir retourner puisqu'elles étaient sur place (on n'avait pas à les traîner),

  • apprendre à lire les cartes (savoir où l'on est),

  • apprendre à utiliser le terrain, pour avoir zéro perte en hommes,

  • apprendre à faire un rapport, bref et précis (les fautes d'orthographe et de français ne comptaient pas, et pour cause : la majorité des « diplômes universitaires » était, lorsqu'il y en avait, le CEP). Ceux qui avaient des diplômes d'études secondaires servaient de leur mieux à aider les autres, les progrès étaient fulgurants. Ça servait aussi à ça, notre école : il y avait un temps pour l'enseignement général, à marche forcée lui aussi.

Dernier point sur le devoir de l'École : il fallait à tout prix que ces volontaires pour le services des armes deviennent des citoyens, des Républicains capables de se faire entendre.

Le mal fait sur ce plan par le vichysme était considérable. Les hommes qui dirigeaient la Kollaboration en détenant le pouvoir existaient bien avant guerre, ils animaient et formaient des partis de droite, d'extrème-droite et des embryons de ligues fascistes de toutes sortes. Ayant utilisé la présence des nazis pour instaurer leur régime que la collaboration protégeait, avec à sa tête un vieillard de leur clan, il ne leur fallait pas des citoyens, mais des femmes et des hommes soumis.

La République étant assassinée, les grands principes humanistes et généreux de la Révolution française étaient traînés dans la boue, rendus cause de tous les maux, passés et à venir. La fière devise de la Nation française consacrant le progrès et l'espoir : Liberté, Égalité, Fraternité était remplacée par un mot d'ordre populiste d'avant-guerre, servant de ralliement aux ligues factieuses de bas étage : Travail, Famille, Patrie. Où était par exemple la Patrie lorsque tout le pays, ses hommes et ses ressources étaient livrés à l'ennemi occupant et tenu sous la botte par les collaborateurs eux-même, excitant tous les racismes, toutes les exclusions, toutes les haines contre les juifs, les communistes, les francs-maçons, contre tous les patriotes, quelles que soient leur pensée, leur religion (ou qu'ils n'en aient pas) ? Où est la Patrie lorsque les patriotes sont livrés pieds et poings liés pour alimenter la machine de guerre allemande et les camps nazis ?

Il fallait donc permettre à ces jeunes de redevenir vite des piliers de la République. Nous avions des moyens pour cela. Le Programme du Conseil National de la Résistance était notre charte, y compris sur le plan militaire pour terminer la guerre et remettre le pays au rang des grandes puissances. La restauration de la République et de la Démocratie ne pouvant être négligée, il fallait bien prendre le temps de l'enseigner, de faire connaître ses nouveautés. Il fallait faire reconquérir par chacun sa place de citoyen pour gagner :

  • la place dans les grandes nations.

  • la souveraineté nationale,

  • l'indépendance de la France,

C'était l'axe et la raison d'être de nos écoles de cadres.

Saint- Martin ne fut pas la dernière. Beaucoup de « ses élèves » citoyens-soldats s'engagèrent pour la durée de la guerre, d'autres (peut-être un peu déçus par la tournure des événement) retournèrent à leurs tâches civiles. Mais après Saint-Martin, il y eut une école à Tulle, en octobre, novembre ; il y eut le château du Doux à Beaulieu : avec des officiers de toute la région, (Limoges, Tulle, Guéret), officiers issus des FFI ou sous-officiers de l'Armée qui voyaient ainsi leur courage et leur mérite reconnus. Puis il y eut la dernière, celle de Brive, qui continua de former des cadres sur le même principe qu'à Saint-Martin, jusqu'à la fin de la guerre.

C'est aussi pour cela que certains, dont je suis, ne purent, malgré des demandes incessantes et répétées, n'ont jamais pu suivre ni le 126ème RI, ni le 9 ème Zouaves, ni le 134 ème de Périgueux. Il fallait former les élèves. Nous avons fait le plus scrupuleusement ce qui nous était ordonné par les divers États-Majors. C'est pour tout ceci que je considère mon « passage » à Saint-Martin comme un temps fort de mon existence de jeune soldat de la Nouvelle Armée de la Nouvelle République.

Je veux souligner qu'un homme de Saint-Martin m'a beaucoup aidé, il fut mon maître à cette époque et dans ces circonstances, c'est Constant Magnac, notre « Jean-Paul », car il était une clé de toute notre École de Cadres.

1le barrage du Chastang ne fut achevé qu'en 1951 (Ch. Combe)


Date de création : 07/10/2019 @ 11:17
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